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Critique de Nastasia-B


Lire une oeuvre antique (comme Aristote, César, Suétone et tant d'autres) a quelque chose d'une exploration. Exploration dans le temps, dans une mentalité, dans des lieux et des moeurs disparus, exploration dans une langue et une façon d'exprimer les pensées qui n'est plus de ce monde.

Mais ce qui fait l'intérêt de telles lectures, le plus souvent, c'est d'en déceler la fraîcheur sous l'écorce flétrie. Quel bonheur quand on arrive encore à en déguster le suc, quand on arrive à se sentir en résonance avec des gens et des époques disparues dont nous sommes pourtant les authentiques héritiers.

J'ai déjà parlé moult fois de l'exercice si particulier d'arriver à se couler soi-même dans le moule de la tragédie antique : C'est déroutant quant à la forme (présence de passages chantés, d'un choeur et d'un coryphée qui joue un rôle de médiation avec le public, un peu à la façon d'un Monsieur Loyal au cirque, mais aussi une structure rigide très codifiée avec prologues, épisodes toujours terminés par des stases et épilogues).

C'est déroutant quant au fond (notamment la portée civique et pédagogique de la tragédie antique qui est à des années lumières de notre conception actuelle du théâtre). Or Médée, qui est pour ainsi dire, l'archétype d'une bonne tragédie grecque, peine à nous fournir encore ce jus délicat, cet indice de survivance d'actualité.

On aurait envie d'y croire, se laisser embarquer dans son désarroi, la pauvre, elle est allée trahir les siens pour les beaux yeux de Jason, le corinthien, et ce goujat, non content de lui avoir fait deux gosses est allé fourrer son nez ailleurs (voire autre chose !), et a succombé aux charmes d'une princesse histoire d'assurer le quotidien pour l'avenir.

Bref, une bonne vieille histoire d'adultère en somme. Si l'on adjoint à cela qu'à l'époque une répudiation pouvait s'accompagner d'une condamnation à l'exil, effectivement, Euripide n'a pas lésiné sur les malheurs de son héroïne. Donc, tout de suite, la Terre s'arrête de tourner pour Médée qui ne voit comme seule et unique solution à son problème (et en toute logique !), que l'assassinat tant de la princesse nouvelle élue du coeur de Jason, que du roi Créon qui a décrété son bannissement, que de ses deux propres enfants (rien que ça !).

C'est là que j'ai un peu de mal avec la tragédie grecque. Au sens propre, c'est très théâtral, trop à mon goût, et deux mille ans de littérature sont passés par là. On peut évidemment s'émerveiller devant une faucille en silex du néolithique, mais dire qu'on n'a rien fait de mieux depuis, c'est peut-être un peu trop, et c'est bien ce que je ressens à la lecture de Médée.

Ce qui ne m'empêche pas de croire que Médée est probablement un des plus grands chef-d'oeuvres de cette époque, mais de là à en reprendre à chaque repas aujourd'hui au XXIè siècle, peut-être pas.

Pour ma part, je considère ce texte comme un patrimoine de l'humanité à conserver, et en ce sens, à lire car c'est notre culture, c'est de là que l'on vient, un peu comme j'aime à voir un vieux lavoir de pierre et de bois sans pour autant vouloir abandonner la machine à laver pour retourner me mettre les mains dans l'eau froide.

Qu'en est-il du message civique d'Euripide ? Pour les hommes, cela pourrait se résumer à : « N'allez pas succomber aux charmes d'un autre lit, dont vous serez déçu tôt ou tard ». Pour les femmes : « Votre condition vous expose toutes à subir l'affront de l'adultère, donc gardez la tête froide et tâchez de rester dignes si pareille mésaventure devait vous arriver ».

Pour Jason, la morale ressemble à s'y méprendre à celle de la Poule Aux Oeufs d'Or de la Fontaine, « on hasarde de perdre en voulant trop gagner ». Mais il y a encore, ce me semble, une dimension supplémentaire car Médée franchit le pas de l'infanticide, le dernier des crimes. le message nous enjoint à considérer l'horreur des excès que peuvent nous amener à commettre la jalousie ou l'orgueil.

Au total, une impression mi-figue, mi-raisin mais j'ajouterais néanmoins qu'il y a dans cette tragédie trois ou quatre très belles répliques (malgré l'injure que constitue une traduction pour ce type d'oeuvre), dignes de figurer dans un recueil de maximes.

Toutes ces considérations, vous le savez maintenant, sont à prendre avec d'infinies précautions, car ce n'est que mon avis, c'est-à-dire, pas grand-chose.
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