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Critique de RogerRaynal


Je n'ai jamais vraiment lu les précédents livres de Rushdie. Son univers, ses références culturelles, sa fantasmagorie ne m'intéressent pas vraiment, mais même si je ne suis pas un lecteur assidu de cet écrivain, je crois reconnaitre le talent lorsque je le croise, et, indubitablement, c'est un auteur de talent, un grand, même s'il ne me « parle » guère.
Et puis, un soir, je l'ai entendu parler à la radio de son livre « le couteau ». Pas une fiction, hélas, le récit d'une improbable survie. La sienne. Alors je l'ai lu, et j'ai apprécié.
Rappelons les faits, le 12 aout 2022, accomplissant la Fatwa de Khomeini plus de trente ans après qu'elle ait été prononcée, un musulman fanatique porte quinze coups de couteau à Salman Rusdie, qui va survivre. de justesse. Ce livre, c'est l'histoire de cette survie, mais c'est aussi bien plus que cela.

Le livre comporte deux parties : la première, l'ange de la mort, raconte l'attaque, les soins, la guérison lente du corps, et les réactions de la famille et de l'entourage de l'écrivain. La seconde, l'ange de la vie, est une description du retour à la vie, à la cette vie publique qui dépasse l'individu devenu symbole de la liberté d'expression.

L'auteur raconte, et fort bien, ce qui l'avait amené, ce jour-là, dans l'amphithéâtre de Chautauqua, dans l'état de New York, pour une conférence consacrée, ô ironie, à la protection des écrivains menacés. Nous partageons sa vie quotidienne, quelques souvenirs, et ses réactions lors de l'attaque. Vingt-sept secondes de terreur. Ensuite, c'est l'histoire d'une reconstruction, celle du corps, ce corps meurtri, lacéré, endommagé et diminué, mais qui renferme toujours un esprit invaincu. L'esprit d'un homme, aussi, qui apprécie les plaisirs de la vie, de l'amour : un très beau chapitre est consacré à sa femme Eliza, et aux relations avec ses enfants. Un homme qui ne cache rien des soins qu'il doit recevoir, de sa guérison à sa rééducation, et de ses craintes (dont celle, très Américaine, de se demander dès qu'il le peut si le montant de ses soins est bien couvert par son assurance santé). Nous pénétrons aussi, au fil des pages, et entre les lignes, dans la vie quotidienne d'un auteur reconnu, et dans le petit monde des intellectuels dont il fait partie (j'oserai confesser que je ne connaissais aucun des auteurs célèbres ou célébrés qui sont ses proches). C'est un monde bien évidemment très éloigné de celui des auteurs qui resteront à jamais inconnus, dont je suis, mais dont la description est éclairante.
Dans la seconde partie, Rushdie imagine un dialogue impossible entre lui et son agresseur, qu'il ne nomme qu'une fois. le reste du temps, il sera « A », car il refuse
d'en faire un moderne Erostrate. Qu'il retourne au néant, et c'est tant mieux. Ces trois entretiens imaginaires sont bien menés, intéressants, et permettent à l'auteur de préciser ses pensées, même si (p. 216) « c'est bien là que nous sommes, un lieu où le professeur ne peut enseigner et l'élève ne peut apprendre. Et il n'est même pas évident de déterminer qui est l'élève et qui est le professeur. »
Nous suivons aussi, progressivement, comment le survivant redevient l'écrivain, puis, à son corps défendant, le symbole renouvelé de la liberté d'expression, même si « la religion, forme médiévale de l'irrationalité, associée à l'arsenal moderne devient une menace réelle pour nos libertés »(P. 259).

L'expression est claire, le contenu puissant, la traduction, de Gérard Meudal, habitué de l'auteur (et courageux, car Hitoshi Igarashi, le traducteur japonais de Rushdie, a été assassiné à Tokyo en 1991, peu après l'agression de Ettore Capriolo, son traducteur italien, à Milan), excellente.

Ce livre n'est pas une réplique, ni une réponse, mais une volonté et un chemin. le chemin trouvé par la vie malgré la volonté de mort. Comme l'écrit l'auteur (P. 118) : « le langage aussi était un couteau capable d'ouvrir le monde, d'en révéler le sens, les mécanismes internes, les secrets, les vérités. Il pouvait trancher dans une réalité pour passer dans une autre ». Ce livre est le couteau de Rushdie. Littéralement. C'est l'arme qu'il retourne contre l'esprit de celui qui visait sa chair. Et ce couteau ne manque pas sa cible.
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