Bobigny 1972 / Dans les couloirs du Conseil Constitutionnel
Tract pour Marie-Claire
Une jeune fille de 17 ans va être jugée pour avoir avorté. Comme un million d’autres femmes en France chaque année, Marie-Claire a vécu le drame de l’avortement clandestin.
PARCE QU’ELLE n’avait pas 3000 francs pour aller avorter confortablement dans une clinique de Genève, Londres ou même Paris, PARCE QU’ELLE est fille naturelle d’une mère célibataire, employée de métro, qui a élevé toute seule ses trois filles,
PARCE QU’IL N’Y A AUCUNE ÉDUCATION SEXUELLE à l’école et que la contraception est sabotée en France (comme le reconnaît le député UDR Nauwirth, auteur de la loi sur la contraception),
PARCE QUE, comme toujours dans ces cas-là, elle s’est trouvée SEULE pour s’en sortir, elle doit, aujourd’hui, revivre ce drame et subir le JUGEMENT À HUIT CLOS d’une société qui est la véritable responsable de cette situation. Nous les femmes qui avons vécu cette situation, qui pouvons la vivre chaque mois, nous sommes solidaires de Marie-Claire. P 47
- Maître Halimi !
Comment ressentez-vous l’audience qui va s’ouvrir ce matin ?
- Un procès capital va avoir lieu aujourd’hui.
Celui de Marie-Claire, mais aussi celui de toutes les femmes qui vivent dans l’angoisse de grossesses non désirées…
… Dans l’angoisse de la mort.
- Tu ne feras plus le lit de tes frères.
- Ce jour-là, j’ai gagné mon premier bout de liberté.
J’ai décidé que mes mots, cette arme absolue pour défendre, expliquer, convaincre, se prononceraient toujours dans la plus absolue des libertés…
… Et dans l’irrespect de toute institution.
N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question.
Ces droits ne sont jamais acquis.
Vous devez restez vigilantes votre vie durant.
Simone de Beauvoir
Monsieur le président. Je voudrais que vous et monsieur le procureur, vous tiriez les conclusions. Car le manifeste des 343 est un autre exemple de cette justice de classe. Trois cent quarante-trois gemmes ont dénoncé le scandale de l’avortement clandestin, le scandale de la répression et le scandale de ce silence que l’on faisait sur cet avortement. Les a-t-on seulement inculpées ? Nous a-t-on seulement interrogées ? Je pense à Simone de Beauvoir, à Françoise Sagan, Jeanne Moreau, ou encore à Catherine Deneuve. Dans un hebdomadaire à grand tirage, Catherine Deneuve est représentée avec la légende : La plus jolie maman du cinéma français. Oui certes, mais c’est aussi la plus jolie avortée du cinéma. Pourquoi Marie-Claire, madame Bambuck, madame Duboucheix et enfin madame Chevalier sont là, prévenues, et pas Delphine Seyrig ?
N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant. – Simone de Beauvoir
Je n’ai pas à être la bonniche de mes frères. Tout ça parce que je suis une fille ?!
Êtes-vous consciente qu’il s’agit d’un crime, relevant de l’article 317 du Code Pénal ? Je vais vous lire l’article : Quiconque, par aliments, breuvages, médicaments, manœuvres, violences ou par tout autre moyen aura procédé ou tenté de procurer l’avortement d’une femme enceinte ou supposée enceinte, qu’elle y ait consenti ou non, sera puni d’un emprisonnement d’un an à cinq ans, et d’une amende de 1.800F à 100.000F.
Monsieur le procureur, cela vous paraît invraisemblable qu’une jeune fille de quinze ans ne porte pas plainte pour viol ?! Quelques notions de psychologie élémentaire semblent vous avoir échappé ! La première urgence pour une femme violée, c’est d’effacer les traces ! Car elle a honte, monsieur le procureur, elle a honte ! Et pourquoi aurait-elle honte d’un crime que l’on vient de perpétrer contre elle, allez-vous me demander ? Parce que les femmes savent que dans notre société, la suspicion pèse sur toutes les victimes de violence sexuelles ! La société les fait se sentir coupables d’avoir été violées. Voilà pourquoi les femmes ne portent pas plainte ! Et vous-même, ici, dans ce tribunal, vous mettez en doute le récit de ma cliente ! Vous faites partie du problème, monsieur le procureur !
Croyez bien que c'est avec un profond sentiment d'humilité devant la difficulté du problème, comme devant l'ampleur des résonances qu'il suscite au plus intime de chacun des Français et des Françaises, et en pleine conscience de la gravité des responsabilités que nous allons assumer ensemble. Mais c'est aussi avec la plus grande conviction que je défendrai un projet longuement réfléchi et délibéré par l'ensemble du Gouvernement, un projet qui, selon les termes mêmes du Président de la République, a pour objet de « mettre fin à une situation de désordre et d'injustice et d'apporter une solution mesurée et humaine à un des problèmes les plus difficiles de notre temps. Nous ne pouvons plus fermer les yeux sur les 300.000 avortements qui, chaque année, mutilent les femmes de ce pays, qui bafouent nos lois et qui humilient ou traumatisent celles qui y ont recours. L’Histoire nous montre que les grands débats qui ont divisé un moment les Français apparaissent avec le recul du temps comme une étape nécessaire à la formation d’un nouveau consensus social, qui s’inscrit dans la tradition de tolérance et de mesure de notre pays. Je ne suis pas de ceux et de celles qui redoutent l’avenir. – Simone Veil, 26 novembre 1974.