AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
EAN : 9782709671378
300 pages
J.-C. Lattès (15/03/2023)
4.46/5   100 notes
Résumé :

Si les femmes subissent l’injonction à être de « vraies femmes », les hommes, eux, sont sommés de respecter les normes sociales de la virilité pour être validés par les autres mâles. Dès lors, la séduction hétéro serait-elle une affaire d’hommes ? Pour explorer ce paradoxe, Léane Alestra s’appuie sur la philosophie, l’histoire, la littérature, la sociologie et la théologie, interrogeant la contrainte à l’hétérosexualité et le dressage des genres auxquels les... >Voir plus
Que lire après Les hommes hétéros le sont-ils vraiment ?Voir plus
Critiques, Analyses et Avis (24) Voir plus Ajouter une critique
4,46

sur 100 notes
5
16 avis
4
4 avis
3
1 avis
2
0 avis
1
0 avis
Je n'avais jamais lu de livre féministe, je suis tombé sur celui-ci par hasard ayant beaucoup aimé le premier livre de la collection Nouveaux Jours j'ai voulu voir le deuxième. Honnêtement j'avais pas mal de préjugés à cause du titre mais aussi de ma perception du féminisme et je me suis pris une énorme baffe bien mérité. Cet ouvrage est un véritable outil d'analyse politique structurelle. C'est implacable, limpide et saisissant. J'ai aussi ressenti beaucoup de choses à la lecture et bien des souvenirs sont revenus.
Ce livre mérite vraiment d'être mis dans toutes les mains, de mon côté il y aura un avant et un après à la fois personnellement et politiquement.
Commenter  J’apprécie          320
C'est le genre d'essai qui m'intrigue puisque je savais que cela allait aborder un point de vue féministe que je ne connais pas ou peu. Si le titre est volontairement provocateur, il serait dommage de s'arrêter seulement à cela.

Tant de sujets sont abordés qu'il serait difficile de tous les énumérer mais la bromance (contraction des mots « brother » et « romance ») et les boys clubs sont largement analysés et décryptés. le propos est toujours étayé et Léane Alestra n'a pas avancé une thèse qui l'arrange. Elle s'est en effet servie de nombreuses études et travaux de recherche qui permettent d'expliquer le propos.

Ce n'est pas forcément évident de parler d'un tel ouvrage, tant le travail est fourni, mais je recommande cette lecture à tout le monde (et tout particulièrement aux hommes hétéros). Il serait dommage de s'arrêter uniquement sur ce titre provocateur, alors que l'autrice a fait un véritable travail de recherche et d'analyse.

[Chronique complète sur mon blog].
Lien : https://anaislemillefeuilles..
Commenter  J’apprécie          250
Le livre annonçait en quatrième couverture être ébouriffant et bien ce n'était pas que dire ! Beaucoup de révélations, de "mind blow" à la lecture de cet ouvrage. D'un coup, sous vos yeux ébahis nombre de scènes quotidiennes et de discours médiatiques font sens. C'est très frais, puissant, très touchant aussi. L'autrice est cash avec les hommes mais toujours avec une grande sensibilité, justesse et finalement beaucoup d'empathie. Une grande claque à mettre dans absolument toutes les mains pour repenser avec finesse et intelligence le monde de demain.
Commenter  J’apprécie          190
Une réflexion très bien sourcée et proposant un angle à la fois original et si omniprésent dans notre société.
Léane Alestra propose ici de s'intéresser à la dissonance cognitive millénaire dans laquelle semblent englués les hommes hétérosexuels : comment aimer les femmes alors que l'impératif de virilité les poussent à les détester ?
Commenter  J’apprécie          180
« Avec un titre volontairement provocateur (surtout pour les mâles alphas de ce monde), Léane Alestra vient de publier un essai qui ne passe pas inaperçu aux éditions JC Lattès (dont on salue l'audace). C'est d'abord pour tenter de répondre à une question qui lui prenait littéralement la tête que l'auteure, aussi créatrice du podcast féministe Mécréantes, a choisi de consacrer une enquête sous forme d'essai pour tenter de repenser les identités masculines et leurs effets collatéraux sur nos sociétés. Sans parler du tabou de l'homosexualité masculine que Léane Alestra analyse habilement. » Urbania

« Dans ce premier essai documenté au titre provocateur, la jeune autrice Léane Alestra explore les paradoxes de la masculinité, de la contrainte à l'hétérosexualité au tabou de l'homosexualité masculine, avec habileté. » France Inter
« On apprend aux hommes hétéros à mépriser le féminin tout en cherchant à être en relation avec les femmes. Léane Alestra consacre son dernier livre Les hommes hétéros le sont-ils vraiment? à cette dissonance cognitive. » Les Inrocks
Commenter  J’apprécie          100


critiques presse (2)
LeMonde
19 septembre 2023
Le titre est sciemment provocateur, pour cet ouvrage qui se propose de décortiquer les relations masculines et leurs ambiguïtés. Il n’en cache pas moins un contenu exigeant et très documenté, qui a d’emblée séduit.
Lire la critique sur le site : LeMonde
Bibliobs
06 avril 2023
Dans son premier ouvrage, Léane Alestra, créatrice du podcast Mécréantes et journaliste pour le média queer Manifesto XXI, décortique les règles contre-intuitives et aliénantes de la masculinité qui nous rendent, à tous, la vie impossible.
Lire la critique sur le site : Bibliobs
Citations et extraits (56) Voir plus Ajouter une citation
Créer un modèle social ne reposant pas sur la domination et la verticalité est une nécessité, sans quoi, au moment où les conséquences des crises se feront puissamment ressentir, nous risquons de tomber dans une ère fasciste.
Commenter  J’apprécie          00
Pour les jeunes garçons, l’attrait que représente la compagnie des mâles,
mêlé à la crainte de développer une intimité trop intense envers leurs
confrères, est à l’origine d’une forte tension. Ce mélange d’attraction et de
répulsion crée un dilemme qui, faute d’être résolu, les incite à demeurer sur
le qui-vive entre pairs. C’est ce que souligne Daisy Letourneur : « Il y a
évidemment une tension sous-jacente dans cette impitoyable fête à la
saucisse. Fréquenter les hommes, admirer les hommes, glorifier leur corps
musclé dans l’effort sportif est tout à fait acceptable et normal. Vouloir le
toucher est prohibé. Il faut absolument dresser un mur entre nous et la suite
logique de nos affections. Parce que, pour faire court, l’homosexuel est le
pénétré, donc le féminin, donc l’inférieur . »
Alors que l’homme est glorifié et les femmes, ramenées à des sujets de
seconde zone, on interdit pourtant aux hommes de s’aimer frontalement ou
charnellement entre eux. Cette incohérence majeure et persistante s’inscrit
au cœur même de nos conceptions modernes. Or, pour l’enfouir et la nier,
notre société a tout intérêt à simplifier les choses en catégorisant les
hommes en deux groupes artificiels : les bons soldats hétérosexuels et les
homosexuels, tous deux nés comme cela. Cette dichotomie est bien
pratique, car elle sert à réguler les liens entre hommes, à masquer cette
tension et ce trouble. Il suffit de penser aux rugbymen et footballeurs
s’écriant : « On n’est pas des pédés » quarante fois avant chaque match
pour constater que ce besoin frénétique d’affirmer haut et fort son
hétérosexualité est un cri expiatoire nécessaire.
De cette tension résultent des comportements tous plus surprenants les
uns que les autres, comme la pratique du gay chicken. Cette tendance
américaine, apparue il y a quelques années, consiste à publier sur les
réseaux sociaux des vidéos dans lesquelles des hommes se touchent,
s’embrassent, tout en essayant de rester stoïques pour prouver leur parfaite
hétérosexualité… En Russie, il existe même un programme de téléréalité où
les hommes doivent démontrer qu’ils sont hétéros en trouvant le gay caché
parmi eux… Dans cette émission intitulée « Я не гей », qui pourrait être
traduit par : « Je ne suis pas gay », huit candidats s’affrontent pour
convaincre le public qu’ils sont parfaitement hétéros. L’objectif est ainsi de
trouver « l’ennemi » parmi eux, de débusquer l’imposteur avec à la clé deux
millions de roubles (environ 25 000 euros). Pourtant, le magazine Têtu
relève à juste titre « qu’il s’agit probablement du contenu le plus
homoérokitch du pays ! ». En effet, pour prouver leur hétérosexualité, les
candidats se voient mis à l’épreuve et testés. Ainsi, on retrouve
paradoxalement au programme de cette émission homophobe pole dance,
lapdance en slip à paillettes et tee-shirts humides laissant entrevoir des
pectoraux saillants… Et gare à celui qui laissera transparaître une infime
émotion face à ce spectacle haut en couleur. Cette émission semble fasciner
le public russe puisque le premier épisode diffusé sur YouTube a dépassé le
million de vues en moins de trois jours. On rirait presque de l’absurdité de
ce scénario si la situation des jeunes Russes LGBT+ n’était pas
dramatique…
Ainsi, on ne peut nier que l’homophobie prépondérante dans les milieux
masculins hégémoniques traduit un malaise sous-jacent. Nous l’avons
répété, le maintien même du boys club dépend de cette présomption
d’hétérosexualité et il est impensable pour un homme de questionner avec
légèreté la nature des liens qui le lient à la gent masculine. Car transgresser
les règles du boys club, à commencer par celle d’être hétéro, c’est prendre
le risque d’en être exclu, marginalisé, et de se voir déchu d’une partie de ses
privilèges masculins. Or, c’est justement cette peur du rejet et de la violence
des autres hommes qui donne son pouvoir aux bandes masculines et dicte la
bonne conduite de ses membres. Ainsi, dans un premier temps, il s’agit
pour tous les hommes de mettre à distance, d’éventuels désirs homosexuels.
Pour nombre d’entre eux, ces fantasmes sont si enfouis, si inavouables,
qu’ils semblent n’avoir jamais existé. Plus surprenant encore, nombreux
sont les hommes qui entretiennent des liaisons sexuelles, voire romantiques,
avec des hommes, tout en étant intimement convaincus d’être hétéros. Pour
le sociologue américain Tony Silva, « le comportement, l’attraction et
l’identité sexuelle ne sont pas toujours alignés ». Autrement dit, la façon
dont ces hommes se perçoivent est en décalage avec leurs actes et leurs
désirs. Dans son livre Still Straight : Sexual Flexibility among White Men in
Rural America, il s’est entretenu avec une soixantaine d’hommes blancs
vivant dans des communautés rurales aux États-Unis. Tous les hommes
qu’il a questionnés s’identifient comme hétérosexuels, mais indiquent avoir
régulièrement des contacts sexuels avec d’autres hommes, la majorité du
temps en secret. Ces hommes sont intimement convaincus d’êtres hétéros,
peu importent les rapports sexuels et affectifs qu’ils nourrissent avec
d’autres hommes. Mais comment est-ce possible ? Pour la philosophe
Judith Butler, ce phénomène s’explique par le fait d’encrypter son soi
homosexuel. Il s’agit de nier, cacher, enfouir, enterrer et, si besoin, d’expier
les désirs sortant du schéma hétéro. Pour réussir à enfouir ces désirs, il est
nécessaire de ne laisser aucune place au doute, en suivant anxieusement le
script du parfait petit hétéro. Dès l’enfance, cette panoplie du label
« homme hétéro » implique des jouets, des loisirs, une façon de s’habiller,
de marcher, de parler, de se coiffer. Le code de l’homme est réglementé
dans les moindres détails, même (surtout) dans la vie sexuelle intime. La
leçon est d’ailleurs bien retenue par les concernés… En 2022, les deux tiers
des hommes hétéros refusaient catégoriquement que leur partenaire
féminine les pénètre avec un objet , précisément car cela ne colle pas aux
schémas qu’ils ont appris. Ainsi, même lorsque certains entretiennent des
relations romantiques et sexuelles avec des hommes, la remise en question
de leur identité ne suit pas toujours. Dans l’étude de cas mené par Tony
Silvia sur les hommes du milieu rural aux États-Unis, leur point de vue
pourrait se résumer ainsi : « Comment je pourrais être un peu gay alors que
je conduis un tracteur ??? » Ces liaisons restent ainsi secrètes afin de ne pas
ébranler l’identité des sujets, lesquels vont continuer à performer une
masculinité hégémonique pour n’éveiller aucun soupçon dans leur
entourage. Comme le souligne Eva Illouz dans La Fin de l’amour. Enquête
sur un désarroi contemporain, jusqu’à peu « les normes de la conduite
sexuelle étaient considérées comme des codes moraux, les hommes
devaient donner l’impression de respecter ce code, ce qui signifie qu’un
grand nombre de comportements sexuels étaient cachés ou devaient être
intégrés à la perspective du mariage (ou son apparence) . » Or, c’est
précisément parce que chaque homme s’approche plus ou moins de cette
norme mais qu’aucun n’y correspond jamais totalement que ces derniers
craignent autant la remise en cause de leur virilité et de leur légitimité.
Cependant, ces mécanismes ne sont pas toujours conscients chez le sujet.
Pour Tony Silvia, il y a un écart entre les comportements, les relations que
l’on entretient et l’identité sexuelle à laquelle ces hommes s’identifient.
Lors de mes entretiens j’ai par exemple rencontré Simon, un rugbyman, qui
a fini par prendre conscience qu’il était bi seulement à la fac. Pourtant, il
vivait des expériences sexuelles et romantiques depuis l’adolescence avec
des hommes, mais il a très longtemps considéré que c’était là des jeux entre
ados. En raison de sa carrure de rugbyman d’1,90 mètre, il avait du mal à se
concevoir autrement qu’hétéro, notamment parce qu’il était perçu comme
tel en société. Si lui se sait aujourd’hui non hétéro, ce n’est pas le cas de ses
anciens partenaires. Ces derniers, principalement des amis plus ou moins
proches, eux aussi rugbymen, n’évoquent jamais ces relations qui
constituent un puissant tabou.
Observant ce décalage entre l’identité sexuelle/romantique et les
préférences sexuelles, certains coachs et sexologues comme Joe Kort y ont
vu une source de business possible. En effet, leur travail consiste à rassurer
les femmes découvrant que leurs compagnons entretiennent des relations
extra-conjugales avec d’autres hommes. L’objectif de ces coachs est de leur
assurer que leur partenaire est parfaitement hétéro. Sur le site internet de
Joe Kort, on peut par exemple lire ce slogan à destination des compagnes :
« CE N’EST PAS UN TRUC DE GAY, C’EST UN TRUC DE MEC ! Ces
questions et un million d’autres sont probablement en train de vous trotter
dans la tête. Mais devinez quoi ? Vous n’êtes pas seules. De nombreux
types d’hommes s’engagent dans des relations homosexuelles pour diverses
raisons. Veuillez acheter ce guide pour les femmes préoccupées par leur
homme pour en savoir plus . » Parmi les raisons évoquées par le sexologue,
ces hommes seraient en réalité en colère contre leur père pas assez
disponible pour eux, ou trop dépendant au sexe pour se contenter de
rapports hétéros…
Ce flou contradictoire entre ce qui est considéré comme gay ou hétéro,
l’universitaire et féministe américaine Eve Kosofsky Sedgiwck l’explore
brillamment dans ses essais . La découverte de sa pensée fait d’ailleurs
l’effet d’une révélation, et nous permet d’enfiler des lunettes qu’on ne
voudra plus jamais retirer. Sedgiwck montre avec finesse les ficelles d’un
théâtre hétérosexuel anxieusement codifié, dans lequel l’homme vit avec
l’angoisse permanente que quiconque remette en cause son hétérosexualité.
Cette peur viscérale, elle l’appelle la « panique homosexuelle ». Il s’agit du
besoin constant pour les homm
Commenter  J’apprécie          10
L’histoire de la condamnation de l’homosexualité en Europe occidentale
est celle d’un basculement et d’un renversement idéologiques liés à
l’arrivée de nouvelles théologies. Car si jadis, l’amour homo n’était pas
toujours platonique et pouvait se vivre au grand jour, l’influence de saint
Augustin ne tarda pas à gâcher la fête… Au IV siècle, ce théologien majeur
du christianisme imagine la doctrine du péché originel, associant le désir
sexuel à la honte, prétendant que la libido est la marque du diable . À la
même époque, les mariages homosexuels sont officiellement interdits par le
Code de Théodose, un recueil de décisions impériales romain promulgué
par l’empereur romain Théodose II, et l’interdiction officielle entre en
vigueur le 1 janvier 439.
Après le décès traumatisant de son « meilleur ami », un ami très, très,
proche , le philosophe Augustin, qui deviendra saint Augustin, se convertit
à la tradition chrétienne : « Je sentis que mon âme et la sienne n’étaient
qu’une seule âme en deux corps et la vie me devint donc intolérable, parce
que je ne voulais pas vivre réduit à la moitié d’un tout ; et pourtant, j’avais
peur de mourir de crainte que l’être que j’avais tant aimé ne meure
complètement . » Il consacrera ensuite son existence à tenter d’éradiquer les
pulsions sexuelles « du diable » touchant l’humanité, au lieu de raconter
simplement son chagrin à une oreille attentive et de nous laisser en paix…
e
1
er
2
3
4
Pour comprendre ce basculement dont Augustin est à l’origine, il faut
saisir le contexte historique et sa dimension misogyne. Sous l’Antiquité
romaine, les philosophes justifient la suprématie des hommes par l’idée
qu’ils sont plus forts et plus résistants que les femmes. On n’a pas de
difficulté à imaginer qu’ils sont évidemment tous, sans exception, des iron
men indéfectibles… Car l’identité masculine hégémonique repose sur la
maîtrise de soi, de ses affects, et le rejet absolu de toute trace de
vulnérabilité. À cela on oppose des corps « féminins » qui, en raison de
leurs menstruations et du lait coulant de leurs seins, ne sauraient se contenir.
Mais Augustin se retrouve face à une contradiction : si les hommes se
contrôlent, il y a pourtant quelque chose sur lequel ils n’ont pas une totale
prise… Il existe une manifestation physique qui trahit leur vulnérabilité…
Ce talon d’Achille, c’est l’érection. D’où viennent nos désirs ? Pour quelle
raison je n’en suis pas complètement maître ? Pourquoi suis-je attiré par un
corps ? Comment expliquer que je ne puisse maîtriser mes érections quand
je suis entouré d’hommes aux thermes ?
Ces questionnements ne cesseront de hanter le philosophe . Pour y
répondre, Augustin va théoriser le péché originel, en remontant pour cela
aux prémices de l’humanité. Et, spoiler alert : son analyse, qui influence
encore nos sociétés, a désigné ces dames grandes coupables. Pour saint
Augustin, si les hommes ne contrôlent pas leurs érections, c’est la faute
d’Ève. Ce serait elle qui, en croquant le fruit défendu avant de le faire
goûter à son compagnon Adam, aurait cédé à la tentation du serpent . En
trahissant Dieu, la femme originelle a ainsi condamné l’homme à porter la
trace du péché dans sa chair. Le caractère involontaire de l’érection resterait
un héritage honteux, le marqueur physique de la faiblesse d’Adam et la
trace de son péché. En écoutant l’avis de sa compagne au détriment des
instructions du Père tout-puissant, il aurait conduit ses descendants
masculins à subir la sanction du patriarche suprême. Les hommes sont dès
lors punis, pour avoir privilégié le féminin à l’ordre patriarcal. Quant aux
femmes, la faute originelle les condamne à accoucher dans la douleur et à
aimer leur mari quoi qu’il leur en coûte…
Nos appétits érotiques deviennent ainsi la marque du mal, établissant la
fin de l’innocence divine offerte par le paradis déchu. Nos désirs demeurent
pour Augustin la preuve que nous appartenons à une espèce traversée par ce
qu’il nomme en latin la massa peccati , une « masse de péchés ». Nous
devons donc nous purifier et éviter d’aggraver notre cas en bannissant tout
5
6
7
geste de luxure. Les considération de saint Augustin seront reprises par les
théologiens des générations suivantes, notamment pour dresser la liste des
péchés capitaux. Dans l’énumération des actes pouvant nous envoyer
directement en enfer, ils ajouteront alors la luxuria, à savoir le plaisir sexuel
recherché pour lui-même…
Saint Augustin ne va pas se contenter de désigner les femmes comme
étant à l’origine du péché, il va aussi lutter pour convaincre ses semblables
que les hommes homosexuels sont des êtres contre nature. Pour ce faire, il
va sélectionner dans le monde animal des exemples d’espèces qui sont
selon lui strictement hétéros et décréter que c’est naturel puisque c’est
comme cela chez les animaux . Comme quoi, instrumentaliser la nature ne
date pas d’hier… Une entreprise osée puisque, comme le rappelle
l’historien John Boswell, à cette époque, les comportements homosexuels
chez les animaux étaient déjà cartographiés par les naturalistes comme les
comportements saphiques des pigeons qui étaient bien connus.
Malheureusement, dix-sept siècles plus tard, ce type de propos perdure,
et contient toute l’ambivalence des discours homophobes. Ainsi, d’un côté,
les LGBT+ seraient des êtres contre nature, mais, dans le même temps, ils
seraient des êtres mal éduqués et bestiaux, qui cèdent à leur instinct comme
des animaux. Paradoxal, n’est-ce pas ? Pour les homophobes, il suffirait
d’ailleurs de quelques films LGBT+ à l’écran pour risquer de
« contaminer » tous les hétéros. Preuve en est que l’hétérosexualité qu’ils
clament comme étant « naturelle » leur semble pourtant bien fragile…

Les idées de saint Augustin, considéré encore aujourd’hui comme un des
plus grands intellectuels occidentaux, laisseront un impact profond dans les
mentalités. Après sa mort, les relations entre hommes continueront à être
glorifiées, mais devront désormais se passer de tout caractère charnel. La
luxure restant l’apanage des tentatrices, ces créatures descendant d’Ève, le
célibat et la fraternité entre hommes sont présentés comme autant de
moyens légitimes d’échapper aux séductrices. Ainsi, ce qui est considéré
comme contre nature pour un homme n’est pas de relationner avec un autre
homme, mais bien de le séduire, car l’entreprise de séduction serait une tare
féminine. Bref, à défaut de pouvoir opérer une croix totale sur les créatures
à vagin en raison d’une légère nécessité reproductive, il sied de rappeler aux
hommes de bien s’en méfier. La tentation sexuelle renvoyant dorénavant à
une caractéristique féminine, l’homme qui en charme un autre bascule,
comme par contagion, du côté féminin. En poursuivant ses désirs sensuels,
l’homme se comporte comme Ève et va ainsi contre sa nature. Il renie
l’amour chaste offert par le Christ, et devient un être contre nature, car il
porte en lui le péché d’Ève et des femmes, et non plus celui d’Adam !
La passion entre hommes reste la plus légitime, car elle est, au moins en
apparence, délestée d’érotisme. Ce n’est donc pas l’amour homo qui est
réprouvé par l’Église, mais bien les actes sexuels sodomites, soit tout ce qui
n’a pas de visée procréative. Adopter des comportements féminins
lorsqu’on est un homme est ainsi perçu comme une trahison de la classe
sociale masculine. Par ailleurs, l’Église fondant son pouvoir sur une
politique nataliste dans l’optique d’accroître son nombre de fidèles, il
convient de proscrire tout mode de vie s’écartant de cet objectif nataliste.
Les individus doivent engendrer un maximum d’enfants et n’avoir pas
d’autres occupations en dehors de leur foi… Aussi, il est important de
comprendre que le terme « sodomia » ne fait son apparition dans le
vocabulaire de l’Église catholique qu’à partir du XI siècle et désigne tout
rapport sexuel n’ayant pas de but procréatif . Actuellement, il existe
d’ailleurs une confusion générale autour du péché de Sodome. Dans
l’imaginaire collectif, Sodome et Gomorrhe seraient l’acte originel du
péché de chair, or le péché de Sodome, que l’on retrouve dans l’Ancien
Testament, ne renvoyait pas du tout à la condamnation de l’homosexualité,
mais à celle du manque d’hospitalité envers les étrangers, et condamnait
toute forme d’agression sexuelle . Dans les textes originaux, le crime de
Sodome était celui de ne pas soutenir la main du malheureux et de
l’indigent . Jusqu’à la fin de la seconde moitié du XV siècle, le flou
juridique causé par le manque de définitions pour qualifier les
comportements sodomites laissa aux individus une certaine liberté dans la
mesure où ils sauvaient les apparences. Tant que deux hommes très proches
donnent le change, que leur lien paraît platonique, pieux, et que les devoirs
conjugaux sont assurés, pourquoi s’inquiéter ? On peut citer par exemple
Philippe Auguste et Richard Cœur de Lion, rois de France et d’Angleterre,
un couple tellement inséparable qu’ils partageaient la même nourriture, le
même plat, et couchèrent des années durant dans le même lit sans que cela
semble émouvoir grand monde . Aussi, afin de survivre à travers les âges,
les modèles de relations passionnelles homosexuelles n’ont cessé d’être
remodelés. Et si cela doit impliquer une impasse sur les pratiques
charnelles, pour vivre un attachement toléré par la morale hétérosexiste,
pourquoi pas ?
Commenter  J’apprécie          10
J'aimerais qu'il en soit autrement, mais les faits sont là : nombre d'hommes tuent, violent, exploitent, humilient et se soutiennent entre eux. Pendant que je perds du temps à clamer « pas tous les hommes », la misogynie, elle, continue à broyer des femmes, sans pitié ni remords.
Parce que je connais ma propension à me laisser distraire par mes bons sentiments et mon optimisme, j'ai adopté un comportement cartésien que notre société chérit tant : je me suis mise à compter. Je vous invite à le faire à votre tour. S'il fallait les énumérer, combien d'hommes autour de vous s'intéressent profondément aux femmes ? Combien le font sans jamais les rabaisser ni douter de leur parole ? Sans les interrompre, ni couvrir leur voix pour s'écouter parler ? Combien demeurent attentifs à elles, peu importe l'âge et l'apparence qu'elles ont ? Combien ne prêtent pas attention à leurs poils, leurs vergetures, bourrelets, peau d'orange et rides ? Combien d'hommes hétéro ont toujours respecté leur consentement, prennent autant leur plaisir en compte que celui des femmes ? Combien sont prêts à partager ou à prendre en charge la contraception, par exemple en passant le cap de la vasectomie ? Combien payent au moins la moitié de la contraception ? Combien ne les prennent pas pour leur psy ou leur conseillère, en étalant leurs désagréments et questionnements quotidiens sans rendre la pareille ? Combien ne font pas reposer l'organisation d'un weekend, d'un anniversaire ou de Noël sur les femmes de leur entourage ? Combien se préoccupent sincèrement de leur bien-être et de l'avancée de leurs droits et combien les écoutent, préoccupés, quand elles abordent ces sujets ? Demain, si dans votre groupe d'amis, un homme s'avère avoir eu des comportements violents envers une femme, combien d'entre eux se désolidariseront de lui et feront de la victime en priorité ? Si vous songez qu'ils sont nombreux, en êtes-vous sûr ?
Commenter  J’apprécie          70
Avec cette analyse de Stoker et Dracula, il ne s'agit pas de sous-entendre que les homophobes seraient en réalité des homosexuels refoulés. Ce serait là un raccourci particulièrement dangereux, revenant à faire de ces tiraillements des affaires individuelles alors qu'ils s'ancrent dans des défis sociaux, collectifs et politiques. Par ailleurs, cela impute la faute de la misogynie et de l'homophobie aux hommes homosexuels eux-mêmes, les rendant à la fois victimes et bourreaux. Ces discours homophobes font ainsi des homosexuels les principaux responsables des discriminations qu'ils vivent. Mon propos consiste à défendre l'exact inverse. J'affirme que les hommes sont homophobes pour s'assurer une place dans la hiérarchie sociale masculine.
Commenter  J’apprécie          140

Videos de Léane Alestra (6) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Léane Alestra
Marie Vareille, l'auteure dont les oeuvres ont conquis des dizaines de milliers de lecteurs, nous livre dans son dernier roman "La Dernière allumette", publié chez Charleston et Audiolib et lu par Renaud Bertin et Caroline Tillette, une réflexion poignante sur les sévices infligés aux enfants par les adultes. Dans ce roman, elle explore le cri silencieux des enfants maltraités à travers l'histoire d'Abigaël, une femme en retraite spirituelle dans un couvent, et de son frère Gabriel, un artiste à succès. Alternant entre passé et présent, le récit révèle les traumatismes de leur enfance marquée par la violence conjugale de leur père. En révélant dans cet épisode ses intentions derrière son oeuvre, Marie Vareille nous invite à une réflexion profonde sur la nécessité de briser le silence autour de la violence domestique et de soutenir ceux qui en sont affectés.
Concept éditorial: Hachette Digital en collaboration avec Lauren Malka Voix et interview: Laetitia Joubert et Shannon Humbert Écriture: Lauren Malka Montage, musique originale: Maképrod Conception graphique: Lola Taunay Photo auteur: Léane Alestra Extrait musical : I wish I knew how It would feel to be free, Nina Simone, album Right Here, Right Now!, 1963
+ Lire la suite
autres livres classés : féminismeVoir plus
Les plus populaires : Non-fiction Voir plus

Autres livres de Léane Alestra (1) Voir plus

Lecteurs (447) Voir plus



Quiz Voir plus

Retrouvez le bon adjectif dans le titre - (5 - essais )

Roland Barthes : "Fragments d'un discours **** "

amoureux
positiviste
philosophique

20 questions
859 lecteurs ont répondu
Thèmes : essai , essai de société , essai philosophique , essai documentCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..