N'étant pas particulièrement fan de la narration au présent, j'avoue avoir eu un peu de mal au départ à entrer dans le récit. Les phrases me semblaient trop longues, ponctuées de répétitions de "et" quasi-systématiques, et je n'étais pas convaincue par les incises de dialogue dans lesquelles les descriptions de gestes et d'action me paraissaient lourdes.
Il m'a donc fallu quelques pages pour m'habituer au style et apprécier le petit bijou que j'avais dans les mains.
Car oui, il s'agit bien d'un bijou, d'une rare pépite dont l'éclat se révèle à mesure des mots qui défilent et vous impriment autant d'images que de sensations dans votre petite caboche butée. C'est ainsi qu'on se retrouve avec des passages comme celui-là : « Cet amour pour la région n'est pas de sang, il est fait de la chair de ses souvenirs. C'est plus beau, du moins Jules le voit comme ça. C'est plus pur. » et qu'on se dit qu'il va être difficile de ne pas succomber à ce qui se passe entre les lignes.
Jules est un jeune trentenaire sur le point de se marier. Dans l'optique de l'aider dans les derniers préparatifs, notamment retaper le vieux kiosque sous lequel il compte échanger ses voeux – officieusement – avec Marc, ses parents et lui sont rejoints dans leur maison des Alpilles par les Delestre, amis de la famille, et par leur fils, Eric, que Jules n'a pas vu depuis l'âge de quinze ans. L'alchimie est immédiate entre les deux hommes qui replongent très vite dans cette amitié au goût d'insouciance et d'immaturité. le kiosque devient progressivement une charge à laquelle tout prétexte est bon pour s'en échapper. Ils se feront d'ailleurs remonter les bretelles par les parents, comme des enfants, qui les jugent beaucoup trop négligents pour de grands gaillards comme eux.
Mais c'est ainsi, Jules a besoin de cette nonchalance. le temps s'y prête. le vent amène l'odeur des pins, leurs aiguilles craquent sous les pas, et le rire d'Eric crève les silences et couvre d'un baume inespéré le coeur de Jules qui vit ces moments comme les derniers avant la vie d'adulte.
C'est que Jules n'aime vivre que ce qu'il a déjà vécu. Ça le rassure. Et tout ce qu'il ne planifie pas l'angoisse plus qu'il ne le voudrait. Pour cette raison, la spontanéité d'Eric souffle sur les braises endormies de ses émotions. Et c'est certainement pour cela aussi que sa présence lui semble presque irréelle. Elle ravive à la fois des souvenirs et lui ouvre les yeux sur l'avenir qu'il se construit.
Ici, il ne s'agit pas de parler ou de justifier l'adultère, mais bien de se plonger dans une atmosphère de vacances, d'une ancienne extase de deux coeurs qui se sont ratés et ne se trouveront peut-être jamais. Et les jours défilent comme un compte à rebours qui tient en haleine le lecteur. On doute, on hoche de la tête, on la secoue parfois, en espérant que les non-dits finiront par être exposés.
Tout ça est retranscrit avec beaucoup de délicatesse et de subtilité. On n'attend pas de baisers ou de sexe torride sur les roches calcaires du massif des Alpilles. Quand on a trente ans, on s'y reconnaît. Quand on en a plus, on se souvient. Quand on en a moins, on imagine. Et c'est probablement la force de ce récit : la justesse. On a donc affaire à une une romance mature, loin des clichés du genre et surtout rondement menée par la plume de
Claire Some.
Un coup de coeur, je peux le dire à la fin de ma lecture. Et un seul conseil, vous précipiter dessus dès que l'occasion se présentera à vous !