Les textes homériques, auxquels les
oeuvres de la Tragédie (Eschyle Sophocle Euripide) sont indissociables («
Eschyle,
Sophocle et
Euripide sont nourris d'Homère, et tout particulièrement de l'Iliade. » p. 135), ont suscité, suscitent un sujet d'analyse permanent.
La dernière tendance s'épanouit dans des avatars romanesques, dans la continuité des succès commerciaux des livres de
Madeline Miller (« circé », «
Le Chant d'Achille ») surfant sur la vague d'une dénonciation de l'asservissement de la femme sous le joug du mâle dominant. Faisant abstraction des réserves qui peuvent être émises sur la motivation des éditeurs et auteurs sur ce marché de rente, ce serait parfait si cela favorisait la (re)lecture des textes historiques. Pas sur que cela soit le cas…
Au cas présent,
Pierre Vidal Naquet (1930-2006), helléniste expert, historien engagé, nous propose ce « Monde d'Homère », publié en 2000 et qui par conséquent a bénéficié de toute l'expérience de l'helléniste au sommet de ses connaissances sur le sujet.
D'un point de vue historique,
le monde d'Homère est celui de la période antique grecque préclassique « archaïque », des IXème et VIIIème siècle avant notre ère, période pendant laquelle auraient été retranscrits l'Iliade et l'Odyssée.
Mais il ne s'agit pas d'un livre d'histoire, sujet qui manifestement demeure mystérieux tant la source historique demeure rare, peu étayée1, à la différence de l'age classique des Vème et IVème siècles pour lequel une abondance de documents a survécu. Si nombre d'entre eux ne sont que des fragments, des ruines caressées par la lumière et le vent, dérangées par les troupeaux de touristes, il n'en demeure pas moins que leur diversité, leur quantité permettent de reconstituer cet univers sur des fondements solides.
Contrairement à ce qu'une certaine lecture du passé laissait entendre, les textes homériques ne sont ni des livres d'histoire, rapportant fidèlement des scènes de l'age de bronze, ni un livre de géographie. A cet égard, la thèse de
Victor Bérard, dont l'édition de la Pléiade conserve toujours sa traduction de l'Odyssée, trace les étapes supposées d'Ulysse dans ses pérégrinations de retour de Troie vers Ithaque comme autant de balises GPS. Cette vision encombre toujours nombre d'ouvrages scolaires.
En dépit des arguments d'autorité martelés dans la notice introductive de
Jean Bérard, de ce volume de cette édition, l'argumentation de
Victor Bérard n'a rien d'incontestable.
Il convient de rappeler, par exemple, que sur cette île d'Ithaque, malgré les fouilles opérées et l'intérêt touristique des insulaires à entretenir la légende, aucune preuve(s) archéologique(s) décisive(s) n'ont été mise(s) à jour. Seule une poignée de menus objets de l'age de bronze ont été trouvés.
Pourquoi cet entêtement académique à coller aux textes pour en faire des mémoires géopolitiques dignes d'un
Emmanuel Leroy Ladurie ?
Or, « Pas plus qu'il est un historien,
Homère n'est un géographe » (p. 39)
oeuvre(s) mythique(s), esthétique(s) avant tout :
« N'oublions pas qu'
Homère, ou les Homères, dans l'hypothèse plus que probable où le poète de l'Odyssée n'est pas le même que celui de l'Iliade, n'est pas un théologien mas un aède. Il cherche à séduire ses auditeurs. » (p. 79)
Cet ouvrage expose le regard de l'auteur sur le texte, les textes. Il rejoint dans l'esprit le livre passionnant et très circonstancié d'un Paul Faure « Ulysse le Crétois » ; sans être aussi iconoclaste, la ligne éditoriale du « Monde d'Ulysse » est compatible avec celle de Paul Faure.
Plus récemment (2019), en plus conventionnel, «
L'Iliade et l'Odyssée-Relire Homère » de
Matthieu Fernandez offre aussi un panorama très complet.
Mais pour celle ou celui qui ne souhaite pas s'engager dans une lecture au long cours, ce livre de
Pierre Vidal Naquet est parfait. Sa lecture n'exige aucun prérequis, sinon la lecture de l'Iliade et de l'Odyssée et encore pas nécessairement. Il faut parfois être déjà plus ou moins initié pour suivre le propos d'un ouvrage dédié à l'antiquité grecque ; par exemple, les essais sur la Tragédie Grecque co-écrits par
Pierre Vidal Naquet avec
Jean-Pierre Vernant s'adressent plutôt à des hellénistes chevronnés.
Le lecteur ne rencontrera pas cette difficulté ici ; de plus, le livre intègre des documents photographiques qui, même en format édition de poche, éclairent et aèrent très utilement le propos.
Ce « Monde d'Homère » souligne les interrogations qui demeurent. Car elles sont légions, à commencer par le texte de l'oeuvre originale.
Aucun manuscrit original n'a été retrouvé, la matière première est celle de copies du Moyen Age (Xème siècle-voir la très experte « Introduction à l'Iliade » de
Paul Mazon).
Comme il a été rappelé, s'agissant de textes à l'origine oraux, des chants, il est plus que vraisemblable qu'ils aient fait l'objet au fil des retranscriptions au cours des siècles de modifications, eu égard notamment à la qualité exceptionnelle de la beauté de ceux-ci.
On a vu que
Pierre Vidal Naquet considère qu'il s'agit d'
oeuvres en création polyphonique.
Ces interrogations concernent aussi les événements de l'Iliade.
Schliemann avec ses découvertes à la fin du XIXéme siècle pensait avoir trouvé les preuves archéologiques de la guerre de Troie, telle que relatée dans l'Iliade.
On ne peut plus se référer au fameux « Trésor de Priam » découvert par Schliemann en 1873 qui a disparu en 1945 dans le contexte de la bataille de Berlin. de plus, l'étude méthodique du site soulève plus de questions qu'elle n'apporte de réponses définitives.
Pour simplifier, il existe un décalage de mille ans entre la période où la ville de Troie semble correspondre à la puissante cité de l'Iliade et celle où la civilisation mycénienne eut pu disposer des ressources pour organiser une expédition sous le commandement d'
Agamemnon.
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