Sur un vapeur ayant appareillé à Saint-Louis en destination de la Nouvelle-Orléans sévit un "praticien du Mississippi", un aigrefin de belle mine, portant la principe de confiance universelle comme un axiome, mieux, comme un mantra. Sous des dehors toujours changeants, le fin matois, fait fond sur la règle "qu'un vaurien expert arrive à de meilleurs résultats qu'un mendiant maladroit; et cela pour la raison, selon lui, que les têtes faibles sont plus nombreuses que les coeurs faibles". Tout ceci pour la simple beauté du geste, en véritable sportsman, le gain n'étant que symbolique, l'argent n'étant pas l'unique motif des tromperies et des diableries en ce monde si l'on en croit le Tentateur qui en faisant croquer la pomme n'y gagna pas un sous.
Ce dernier roman publié de son vivant, sans conteste le plus réjouissant et satyrique de l'oeuvre de Melville, et donc le plus aisément abordable, couvrant une journée, prend la forme de tableaux mettant aux prises deux ou trois personnages, laissant la part belle à des dialogues enlevés et spirituels. Pourtant ce fut un nouveau et ultime coup d'épée dans l'eau pour Melville, qui acheva sa démoralisation totale, n'écrivant plus de fiction pour les trente dernières années de sa vie, se morfondant dans son poste d'inspecteur des douanes de New-York. Arrivée à la fin de ce cycle de lecture, on reconnaîtra dans la production littéraire de l'auteur de
Moby Dick, qui semblait devoir à ses débuts se ranger dans la case "roman d'aventure maritime et exotique", ce qui pour certain peut relever du disparate, une certaine aptitude à se renouveler d'un livre à l'autre, en surprenant et - corrélatif inévitable, décevant parfois son lecteur. Ceci posé,
le Grand Escroc est tout indiqué pour qui voudrait découvrir Melville.